Soudainement, la veille de Noël, à l’âge de 60 ans, le mystère s’est éclairci. Ce jour-là, tout à fait par hasard, je suis tombée sur de vieilles analyses sanguines. Le laboratoire avait signalé une anomalie, mais on avait négligé d’en tenir compte. On y avait constaté que je ne produisais pas suffisamment d’anticorps (immunoglobulines). J’ai alors compris que je souffrais d’une immunodéficience commune variable (ICV), une des immunodéficiences primaires dont la plus connue est la maladie des « enfants-bulles ». Les personnes atteintes d’ICV sont incapables de se protéger contre les bactéries et les virus. J’étais stupéfaite.
L’ICV peut être bénigne ou grave. Les individus qui en souffrent attrapent beaucoup d’infections et sont vulnérables aux maladies pulmonaires, aux lésions organiques et à certains cancers, de même qu’à l’invalidité et au décès prématuré. Ils développent souvent des maladies chroniques auto-immunes. Le diagnostic précoce est essentiel pour prévenir certaines de ces conséquences débilitantes et potentiellement mortelles. L’ICV est une maladie incurable. Pour le reste de notre vie nous devons recevoir des transfusions régulières d’anticorps provenant du sang combiné de milliers de donneurs pour contrer les maladies les plus banales comme les rhumes et les grippes.
Quoique sous l’effet du choc, cela m’expliquait beaucoup de choses. Je souffrais déjà d’une maladie auto-immune. J’avais en effet été diagnostiquée d’une sarcoïdose à l’âge de 42 ans, à peine un mois avant que mon mari ne soit diagnostiqué d’un cancer en phase terminale. Dix semaines plus tard j’étais devenue veuve, seule avec trois enfants à charge, et luttant contre cette maladie potentiellement mortelle. Le spécialiste m’a avoué plus tard qu’il ne pensait pas alors que je survivrais. J’ai mis deux ans à me rétablir mais je n’ai pas rechuté depuis.
Pendant une bonne dizaine d’années, j’avais consulté de nombreux spécialistes et eu plusieurs opérations aux sinus, sans pourtant qu’on découvre mon ICV, malgré mes antécédents typiques. Il y a quelques années, on avait pensé à une rechute de ma sarcoïdose quand ma fatigue s’était aggravée, mais cette possibilité avait été écartée et les analyses sanguines avaient détecté une anémie. Encore une fois, la déficience immunitaire contenue dans cette analyse passa inaperçue et l’anémie s’est répétée plusieurs fois. Le médecin m’a alors dit qu’il fallait accepter que la fatigue et la capacité réduite de fonctionner étaient tout à fait normales pour une personne de mon âge. Même après que j’aie vu mes vieilles analyses sanguines et compris ma condition, le système médical a mis 16 longs mois, se trompant d’abord de diagnostic, avant d’en arriver finalement à un diagnostic d’ICV, et de commencer le traitement.
De tels historiques d’infections récurrentes et de diagnostics tardifs sont malheureusement très fréquents dans les cas d’ICV. La qualité de la vie est souvent gravement diminuée par les maladies. Les conséquences émotionnelles, sociales, financières, professionnelles et médicales qui en découlent sont quelquefois effroyables. Quand on réussit enfin à établir un diagnostic, le patient souffre souvent déjà de complications. Par chance, malgré des lésions décelées lors d’un examen par CT-scan, les tests respiratoires ont confirmé que je n’avais pas subi de détérioration pulmonaire jusqu’ici. Le risque de cancer reste cependant très important, de même que la possibilité accrue d’une autre maladie auto-immune, surtout que le traitement a débuté si tard dans ma vie. De plus, je m’inquiète d’avoir transmis cette maladie à mes enfants et petits-enfants.
À cause de mon ICV non diagnostiquée, j’ai dû faire face à des défis inhabituels. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’étais si souvent malade. C’était très frustrant. Je me sentais différente des autres, sans pouvoir me l’expliquer. Je me demandais si c’était parce que j’étais faible ou si je souffrais d’un problème de santé mentale. Je devais souvent me rendre au travail malade, car je n’avais vraiment pas d’autre choix. Je ne pouvais pas vivre autrement, mais cela masquait mes problèmes. Il y avait pourtant des limites à mon endurance. Le milieu de travail sapait mon énergie tandis que ma vie privée diminuait. Éventuellement, j’ai dû négliger certaines choses, mêmes si celles-ci étaient importantes.
Quand j’ai fini par découvrir que je souffrais d’ICV, les transfusions de substitution par immunoglobuline intraveineuse (IgIV) étaient habituellement administrées mensuellement à l’hôpital. Entre temps, le Canada a approuvé une nouvelle forme de transfusion appelée substitution par immunoglobuline sous-cutanée (IGSC) qui peut être auto-administrée par les patients eux-mêmes à la maison. Cela me donnait une plus grande souplesse dans la planification de mon temps et un contrôle accru sur ma vie. Toutefois, cette forme de perfusion doit être administrée plus souvent, habituellement une ou deux fois par semaine.
L’ICV est une maladie solitaire. La plupart des gens n’en ont jamais entendu parler et les traitements à la maison isolent les patients des autres personnes atteintes de la même maladie. Il n’existe pas encore de services communautaires de soutien spécialisés pour cette maladie. Le produit sanguin est fourni par la Société canadienne du sang mais les coûts de l’équipement sont aux frais du patient.
Le diagnostic et le traitement m’ont redonné une bonne qualité de vie. Mes maladies sont désormais moins graves et de plus courte durée. La plupart du temps, je suis capable de fonctionner normalement, mais je dois m’octroyer des périodes de repos supplémentaires quand j’attrape une infection. Il faut prévoir de nombreux rendez-vous chez le médecin, car l’ICV est une maladie complexe : elle peut affecter plusieurs systèmes corporels, nécessitant l’intervention d’un grand nombre de spécialistes. De plus, il faut éviter l’exposition à des bactéries et des virus, ce qui est plus difficile qu’on pourrait le penser. La clé pour optimaliser sa qualité de vie est d’en gérer tous les aspects avec vigilance. Grâce aux traitements, j’ai la chance de pouvoir être physiquement active et de pratiquer mes activités de plein air préférées.
Je suis aujourd’hui à la retraite, après une carrière de travailleuse sociale dans un hôpital pour enfants où j’étais spécialisée dans le soutien aux enfants et aux adolescents souffrant de maladies chroniques et à leurs familles. Je les aidais à vivre avec leurs maladies. Actuellement âgée de 63 ans, j’ai moi-même appris à vivre avec ma maladie, grâce au soutien d’une merveilleuse équipe médicale. Mon but est désormais de sensibiliser davantage le public et les médecins à l’ICV, parce que le diagnostic et le traitement précoces de cette maladie si mal comprise et souvent méconnue sont nécessaires pour sauver des vies et en augmenter la qualité.